dimanche 11 décembre 2016

mésaventure, nouvelle version




Chapitre III
Bràithrean (8)


— Non. L’étalon n’est pas de retour. Et, hier, je me suis tourné la cheville sur une pierre, en le cherchant.
Adhamh baisse les yeux sur le pied bandé d’Angus Henderson. Le voici responsable de la blessure d’un membre du clan, à présent. En tant que futur chef et laird, cela est intolérable. Abattu, l’enfant soupire, avant de reprendre l’aplomb qu’incombe sa future fonction à la tête des siens. Sa voix se fait impérieuse.
— Dans ce cas, repose-toi. J’irai, seul, trouver ce cheval de malheur et te le ramènerai.
— Bon. Si Calum en a décidé ainsi. Seulement mon garçon t’accompagnera. Après tout, il est aussi coupable que toi, dans cette affaire.
L’homme détourne la tête et hurle à l’embrasure de la porte laissée entrouverte.
— Ron ?
Un grognement répond à son appel. L’Écossais garde son sérieux, malgré son envie de s’esclaffer à cette attitude bougonne. Il met tout de même un point d’honneur à se moquer tendrement de son garnement.
— Ramène ton entrejambe meurtri par ici. Un peu de marche aidera à corriger son angle biscornu dû à ta mésaventure face à un MacSorley.
Se baissant au plus près du responsable de l’embarras de son fils, l’adulte chuchote.
— Mon garçon boite moins qu’hier. Et, ce matin, il a même pu uriner en ligne droite et s’asseoir presque correctement, sans trop souffrir.
Le blessé paraît sur le pas de la porte, visage fermé, mâchoires serrées. Son père le harangue, à l’instant.
— Et rappelle-toi que, si tu ne le retrouves pas avant midi, tu dois continuer à fouiller les landes, et ce jusqu’au dîner de ce soir.
Les directives de l’Écossais sont à peine écoutées. Les deux enfants se scrutent silencieusement. Pour en finir avec cette inertie menant à rien, Adhamh tourne le dos à son ex-victime et commence à s’éloigner vers la forêt.
Ron s’apprête à le suivre. Angus l’arrête.
— N’oublie pas, non plus, ce que je t’ai dit. Il faut se méfier d’un homme en colère et…
— Ne pas tenter le diable en essayant de s’amuser aux dépens de ton ami devant la femme qu’il aime. J’ai compris, dadaidh (9). Je t’ai promis de parler avec lui et de tout régler.
— Mph. D’ailleurs, vous devriez passer chez les Macdonald avant de débuter vos recherches, histoire de…
— Oui. Je sais. Pour ça aussi, il faut que j’arrange le coup.
L’adolescent souffle bruyamment. La vie n’est déjà vraiment facile, à leur époque. Alors, sans un frère avec qui partager ses tourments, il n’est aisé de la supporter. Surtout quand on est, du fait d’une caractéristique physique, considéré comme la représentation du démon. Vu sa colère non justifiée sur Adhamh, la veille, peut-être que les gens ont raison de le traiter tel le fils de Satan. Après tout, ce dernier aurait très bien pu demander aux fées de remplacer le vrai bébé de ses parents par sa procréation. Oui. Il pourrait être le fruit d’un changeling child (10). Cela expliquerait tout.
— À quoi penses-tu, mon garçon ?
Ron déglutit aux yeux verts le fixant tendrement.
— Es-tu sûr que les membres du clan ont tort ? Que je viens vraiment pas des Enfers ?
L’homme serre les poings. Il sait son singulier enfant perturbé par les dires et croyances des autres. L’être humain peut être cruel face à la différence. Reprenant son aplomb, le Highlander pose une main ferme sur la frêle épaule de son…
— Tu es mon fils. Quand tu seras près de la rivière, penche-toi au-dessus de l’eau. Tu pourras y voir l’œil de ta mère et l’identique du mien à l’opposé, comme preuves. Maintenant, dépêche-toi ! Ou ton frère va te semer.
Un sourire de quiétude s’étire sur le jeune faciès aux yeux vairons. Rasséréné par la conviction de paternité de son dadaidh et aidé d’une petite tape d’encouragement dans son dos, Ron part rejoindre MacSorley, d’un pas décidé.


— Galère…
 Quatre ans plus tôt, la maman de Ron est morte d’une fluxion, les laissant perdus, lui et son père. Ne tenant à se remarier, ce dernier s’est mis à l’élever seul. Et ce ne doit être simple tous les jours pour un papa célibataire. D’autant plus que, à l’époque et malgré les attentions paternelles, l’enfant avait un manque, un seul, le rendant presque agressif. L’absence d’un petit frère. Un futur confident comblant ce vide qui le hantait au point de le rendre froid aux malheurs des autres. Jusqu’au jour… Maggie, la femme du chef, connaissant les aléas d’Angus en cuisine, a vite pris l’habitude de les inviter chaque semaine à manger un bon plat. C’est ainsi qu’Adhamh, commençant à marcher sans l’aide de ses mains, s’est mis à le suivre, lui le démon, un peu partout et à calquer chacun de ses mouvements. Bien que cette attitude, au premier abord, l’ait agacé, Ron prenait soin de jeter, toutes les deux secondes, un coup d’œil avisé sur le bambin à la démarche aléatoire, afin de lui donner assistance au cas où. Et il a dû maintes fois lâcher ses occupations pour secourir, d’une chute certaine, ce têtu de sacripant. Au bout de quelques jours, la présence, sur ces talons, de son benjamin de deux ans lui est devenue indispensable. Ron venait de trouver celui allant bouleverser sa vie. Depuis, il lui est coutume de taquiner Adhamh, tant que possible, tel le grand frère qu’il est enfin. Mais, hier, Henderson est allé trop loin. La vengeance de son cadet l’a surpris. Il a découvert, à ses dépens, la force de frappe du futur chef et laird. Toutefois la nuit blanche, qu’il a passée, n’était nullement que due à la douleur physique ayant presque disparu ce matin. L’appréhension d’être rejeté à tout jamais par son meilleur ami a maintenu le jeune Écossais éveillé jusqu’à voir l’aube se lever. C’est pourquoi le garçon est heureux de pouvoir passer la journée avec MacSorley pour recoller les morceaux, et à la fois irrité de devoir chercher ce fichu canasson au lieu d’aller pêcher au loch et s’offrir une bonne sieste comme rituel de réconciliation.
— Ron ? Je t’en veux encore.
Eh bien, il est certain que la tâche n’allait être facile. Néanmoins l’interloqué aurait apprécié que son petit frère lui laisse une chance de s’expliquer.
— Mais je te pardonne aussi.
— Hein ?!
Ben, voyons ! Comme à l’accoutumée, cet arrogant veut décider de qui est responsable de quoi. Seulement ce naïf est encore trop jeune pour supplanter son aîné et l’obliger si impunément. Aussi, ce dernier prend un ton assuré pour affirmer à ce « moi, je »…
— J’ai rien à me faire pardonner. Même si j’ai eu quelques torts.
Au timbre sans équivoque, Adhamh a stoppé son pas. À la nouvelle provocation ouverte de son futur bras droit, il se retourne, fâché.
— Exactement. Tu as eu des torts. Et j’en ai, déjà, perdu ma seule chemise mettant en valeur mon superbe corps. Maintenant, comment je vais faire pour récupérer Sàra, moi ? Et tu avais besoin de lui « conter ta fleur » ?
— Quoi ?
Traduisant rapidement, grâce à ses années d’expériences, ce que son cadet a voulu exprimer, Ron, tel un bon frère, corrige l’expression, tout en gardant un ton assuré.
— C’est « conter fleurette » qu’il faut dire. Et je vois pas pourquoi je le ferais auprès de la fille de Douglas ?
— Parce qu’elle est belle et que je la veux pour femme.
— Tu peux bien l’épouser. J’en n’ai rien à faire. Elle m’intéresse aucunement de ce côté-ci.
— Ah oui ?! C’est pourtant bien toi, deux jours de ça, qui lui tenais tendrement la main près de la rivière vers son cottage. Et elle t’a même souri gentiment.
Les sourcils de l’accusé se froncent d’incompréhension. Il a tenu quoi ? En recevant un…
— Minute. Mais qu’est-ce que tu me chantes, Adhamh ? J’avais une commission de dadaidh à faire pour Douglas. Ne trouvant personne à leur logis, je me suis dirigé d’instinct au point d’eau. J’ai surpris Sàra qui m’avait pas entendu arriver. Elle en a glissé sur une pierre humide, et je l’ai retenu par la main pour lui éviter le bain. C’était juste un réflexe. Quant au sourire, c’était pour me remercier. Uniquement.
— Hein ?! T’es sûr ?
— Sur mon honneur.
MacSorley ne peut mettre en doute cette parole. Et puisque tout a été mis au clair, à présent…
— Bon. Ben, disons que l’on est quitte alors.
— Quitte ?!
Voilà qui est un peu fort. Comment peut-on être quitte, alors que la virilité de Ron a été malmenée par un coup bas ?
— Tu as failli remettre en cause mon avenir en tant que mâle. Et devant tout le monde, en plus.
— Et, toi, tu m’as fait mettre en pièces mon vêtement préféré. Et je te rappelle que c’est toi qui as commencé les « hostilitions » en me poussant méchamment dans la boue.
Les deux garçons ont ramené leurs poings sur les hanches pour se confronter de toute leur splendeur, grandeur et musculation highlanders. Leurs kilts, aux mêmes couleurs et rayures de clan, laissent voir le galbe sculpté de leurs mollets. Leurs pieds nus sont ancrés au sol humide de la bruine estivale du matin. Les mentons sont bravement levés, marquant ainsi toute leur fierté écossaise. Les chevelures, laissées libres et tombant jusqu’aux épaules, sont balayées par un vent latéral. Celle d’Adhamh est aussi noire que la crinière de son paternel. Comme pour ses yeux, Ron arbore deux nuances différentes de touffes méchées, l’une à la teinte brune maternelle et l’autre au ton caramel de la tignasse de son père.
— On dit « hostilitétions » (11).
— Très bien. C’est donc toi qui as lancé les « hostilitétions » en m’attaquant le premier. En outre, dans la soirée, j’ai bien failli être jugé comme voleur de cheval, par ta faute, et pas, du tout, avoir de futur, moi. Merci d’ailleurs de m’avoir alerté que ce fichu étalon appartenait à Angus d’aucune manière.
— Dadaidh m’a mis au courant que lorsque j’ai pu retrouver assez de souffle pour pouvoir lui raconter notre mésaventure.
— Bon. Ben je te pardonne aussi ça, puisque tu étais pas au courant.
— Bien sûr que j’étais pas au courant ! Au sinon j’aurais pas choisi ce fichu étalon pour te rabaisser le caquet. Joli cœur aux pensées « bicornues » (12) s’attaquant, telle une fille, au zizi des autres !
— Comme si je pouvais encore être un joli cœur. Car, pour couronner le tout, mon mariage avec Sàra est certainement compromis à l’heure qu’il est. Je suis bon à devenir un pur et dur chef et laird highlander solitaire, sans femme ni enfant. Mon avenir et celui de mon nom sont perdus.
— Qu’est-ce que tu racontes ? Rien n’est jamais perdu. C’est mon père qu’il me l’a dit, hier, alors que j’affolais à plus être ton frère.
— Hein ?!
En voici une nouvelle ! Adhamh en reste assommé un court instant.
— Qui a dit que tu étais plus mon frère ?
Henderson déglutit. Les larmes lui sont montées aux yeux tant le soulagement de savoir que…
— Personne pourra jamais couper notre lien « fatenel », Ron. Personne.
En un geste frénétique, l’enfant de huit ans essuie de sa manche les flots embuant son regard vairon. Son cœur se tranquillise d’avoir reçu la certitude que ce cordon…
— « Fratenel » (13). C’est comme ça qu’on dit.
…soit toujours de mise.
— Oui. Nous sommes frères.
À cette seconde confirmation, remis de ses émotions, le garçon, considéré durant sa petite enfance comme une réincarnation du démon à cause de ses distinctifs iris, arbore un sourire de bonheur retrouvé. Et, en tant qu’aîné, il décide d’aider son cadet sur son souci de futur et éternel célibat.
— En tout cas, t’inquiète. Pour Sàra, j’ai un plan.





Chapitre IV
Sasannaich (14)


— Bien. On arrive bientôt chez les Macdonald. Tu te souviens de ce que tu as à faire ?
— Arrête de me prendre pour un bébé.
— C’est pas ma faute, si tu as…
Henderson laisse sa phrase en suspens. Adhamh vient de stopper net sa marche. Son visage est blanc comme neige. Alarmante couleur. Mais, au moment où il veut l’interroger sur ce subit malaise, MacSorley se met à courir.
— Adhamh ? Adhamh ? Qu’est-ce qui te prend ?
Ron tente de rejoindre le fuyard disparu dans les buissons. Il n’a jamais vu le fils du chef ainsi. Quelle mouche l’a donc piqué ? Il ne s’interroge longtemps. Arrivé au cottage de Douglas Macdonald, le fear sporain (15), il voit quatre hommes au sol. L’un d’eux est le père de Sàra. Il est couché sur le dos, de multiples blessures sur le corps, regardant le ciel d’un regard éteint. Les trois restants portent l’habit rouge (16). Leurs uniformes sont en haillons. Certainement des déserteurs, cherchant à profiter de leur nationalité pour voler autrui. Macdonald, en combattant chevronné, n’a fait aucun cadeau à ces maraudeurs. Sa claymore (17) est encore plantée dans le ventre d’un des agresseurs, sa dague (18) au travers le cou d’un second. Le troisième larron a eu la moitié du visage emportée par un coup de feu. Des traces au sol, plus ou moins distinctes, indiquent d’autres présences multiples. Douglas a eu à faire à trop nombreux. Certains ont dû le prendre en lâches. La rixe s’est soldée en meurtre. Adhamh sort brusquement de la maison, surprenant Henderson dans son effrayante analyse. La respiration de son frère est forte. Ses pupilles cherchent par travers les troncs quelque chose ou quelqu’un.
— Qu’est-ce qui…
— Ramène père et les hommes. On peut plus rien pour elle. Je vais…
Le fils du chef repart en trombe sans finir sa phrase. Plus rien pour elle ? Qu’a voulu dire MacSorley ? Ron hésite. Il doit, malgré tout, savoir. Il entre dans le cottage. Sur la table, gît Anna Macdonald, l’épouse de Douglas. Sa robe et son jupon sont déchirés, en lambeaux, dévoilant sa poitrine, son intimité féminine, sa peau blafarde. Le souffle de l’enfant se fait court. Cette teinte, c’est la même que celle du visage de sa maman sur son lit de mort. À ce souvenir, le garçon voudrait fuir, ne plus regarder. Pourtant ses yeux restent ouverts, s’imprégnant du drame, visualisant les faits et conséquences. Les longues jambes, nues et écartées, pendent inertes dans le vide. Sur la bouche, béante d’effroi, une mouche vient se poser, avant de s’inviter à l’intérieur de l’antre. Aucun son de protestation ne se fait entendre. Le corps reste impassible à l’intrusion. De la fine gorge, fendue de gauche à droite, ont fini de s’écouler les dernières gouttes de vie. Ce sang imprégné au poreux bois et cascadant jusqu’au sol en une mare d’un rouge obscur. Cette fois, le garçon en a trop vu. Il sort et, sans comprendre sa propre obéissance, va au plus vite chercher Calum.

Suite la semaine prochaine…

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